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Un éclair lacéra insensiblement le firmament. La morsure béante délivra une lumière ardente, sauvage, et nécessairement admirable. Une porte se profilait au sein de l’éclat astral. Le battant s’ouvrit lentement et libéra Cassandra dans un monde nouveau. Un monde immémoré, effacé de son esprit, qui résonnait pourtant comme une précieuse réminiscence.
Son corps fusait, s’abîmait. Elle sombrait dans les cieux nocturnes, impuissante, incapable de penser à une solution, incapable de se sauver. Malgré le danger immédiat, elle contemplait avidement l’infinité d’astres qui ornait la nuit.
La porte qui l’avait menée jusqu’à ce nouveau lieu se referma avant de disparaître définitivement, scellant Cassandra dans l’inconnu le plus total. Désormais, elle ne pouvait plus reculer. Elle détourna son attention des étoiles enchanteresses et observa ce monde qui deviendrait dorénavant le sien. Quelques mots frappèrent aussitôt son esprit, comme maigre description de la réalité qu’ils reflétaient. Grandeur. Splendeur. Prestige. Pouvoir.
Un château opalescent, d’une taille démesurée, se dressait vaillamment, en maître ultime de sa cité fortifiée. Sa blancheur intense et irisée traduisait un faste et une noblesse humbles. Une immense route barrait la ville ; elle reliait l’édifice jusqu’à l’horizon lointain, si lointain que la longue voie empierrée paraissait sans fin.
La chute de Cassandra perdurait et le sol s’agrandissait à présent à l’excès. Il devenait urgent de s’en inquiéter… Elle agita frénétiquement ses membres. Ses mains agrippèrent une banderole décorative, étendue au-dessus de l’avenue. La corde céda sous son poids. Ses doigts se fermèrent autour d’un nouveau soutien : une guirlande de lampions. Une extrémité se détacha. Cassandra fusa dans le vide, paniquée et impuissante.
Elle perdit rapidement de l’altitude, bien trop vite à son goût. Elle s’écrasa avec douleur au sol et ricocha sur quelques mètres. Son cœur pulsait, sa peau tiraillait, sa vue se troublait. Elle ne pouvait plus bouger. Elle ne voulait plus bouger. Ses yeux restaient obstinément fermés, incapables d’affronter l’inconnu et, par-dessus tout, incapables d’admettre l’effrayante réalité.
Elle avait quitté son monde. Son foyer. Sa famille. Et il n’y avait pas de retour en arrière.
Le silence oppressait les lieux. Cassandra n’entendait que sa propre respiration. Son souffle haletant parvenait à ses oreilles avec la vigueur d’un ouragan. Elle ouvrit enfin les paupières et observa les hauteurs nocturnes. Les étoiles accueillaient leur nouvelle invitée d’un chatoiement fabuleux.
Cassandra roula sur le ventre et s’appuya sur ses bras, décidée à sonder l’inconnu. Alors qu’elle se relevait, son cœur perdit aussitôt toute notion de rythme ; il accéléra immodérément et manqua plusieurs battements. Elle entoura sa tête de ses deux mains, espérant ainsi se préserver de la panique.
De nombreux — trop nombreux — étrangers resserraient leur cercle défensif autour d’elle. Des visages fermés, des regards interdits, des expressions impénétrables. Tous l’observaient, l’analysaient, la décryptaient, comme s’ils avaient affaire à une bête de foire extraterrestre.
Ils s’apprêtaient d’une longue veste blanche, synonyme d’une appartenance à une quelconque organisation. La majorité exhibait leur arsenal meurtrier de manière ostensible. La peur avait planté ses racines dans l’esprit de Cassandra et croissait avec un empressement incoercible.
Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ? Qu’allaient-ils lui faire ?
Un homme s’avança avec lenteur vers elle. Son sourire se voulait rassurant. Ses gestes, empreints d’une grande douceur, démontraient ses bonnes intentions manifestes. Cassandra recula néanmoins. Elle ne pouvait faire confiance au premier venu — aussi beau fût-il.
Elle boitilla de façon maladroite en arrière, perdue, angoissée, perdue, désemparée, perdue, perdue, totalement et maladivement perdue dans une tornade de questionnements. Le charmant homme s’agenouilla devant elle et tendit une main chaleureuse, en invitation à le rejoindre.
— Hé… N’aie pas peur… Est-ce que ça va ? Je m’appelle Kadjin.
Une gentillesse sincère transparaissait dans sa voix. La confiance germa peu à peu en Cassandra, traçant sa voie au sein de sa crainte solidement enracinée. Elle effectua un pas tremblant en avant. Un seul. Le dernier. Avant de définitivement le regretter.
Un poing la happait violemment par le col. Abasourdie et tétanisée, elle ne pouvait que sentir son corps se faire emporter par une force imposante. Elle ne savait pas comment réagir, à part s’en vouloir pour son manque de méfiance.
L’agresseur refermait ses mains autour du cou de Cassandra. Elle se débattit, à la recherche d’oxygène, mais son frêle gabarit ne pouvait rivaliser avec l’homme qui la dominait du pouvoir de vie ou de mort. Suffocante et impuissante, elle se remémora le visage de sa plus proche parente, sa famille la plus chère.
Le manque d’air rompit le fil de ses pensées et étouffa son esprit. Elle avait réalisé son propre choix. Elle avait à tout jamais enterré son ancienne vie, elle avait décidé de ne plus être un mensonge. Ce choix lui avait coûté sa plus grande richesse. Elle avait abandonné sa grand-mère, elle avait préféré pourchasser les étoiles filantes et cueillir son rêve sans tenir compte des conséquences, sans aucune estimation du tribut que pouvait valoir une telle audace.
Son assaillant grogna.
— Voyez-vous ça… ? Une enfant tombée du ciel ! Qui t’a envoyée ici ?
Cassandra ne parvenait pas à répondre, accablée par l’impitoyable étreinte.
— Qui t’a envoyée dans notre monde ?
L’étau se resserrait. La menace anéantissait ses possibilités de survie. Son cœur hurlait. Sa pierre d’Opram résonnait. Elle n’était pas qu’un mensonge. Son existence ne se limitait pas à si peu. Elle n’avait pas encore atteint son but. Néanmoins, une question ne cessait de retentir dans son esprit.
Avait-elle réellement pris la bonne décision en quittant son ancien monde ?